Je m’appelle Aedan Logan Corwyn mais on m’appelle surtout Logan car je n’aime pas spécialement mon premier prénom. Je suis un Kalani et j’ai grandi sur Naerys. J’ai surtout grandi avec ma mère même si j’ai eu un père aimant.
Ma mère est une Historienne. Elle est toujours passionnée par son travail et connaît l’histoire des Kalanis sur le bout des doigts. Par conséquent, cette matière a toujours été assez facile pour moi. Il n’était pas rare que ma mère me transforme l’histoire Kalanie en contes de fées qu’elle me racontait afin que je m’endorme le soir. C’est probablement suite à cela que j’ai toujours aimé l’histoire de notre race. D’ailleurs, nombreux étaient ceux qui pensaient que je suivrais la voie de ma mère pour devenir un Historien.
Seulement de l’autre côté, j’avais un père Explorateur. Vue comme ça, on pourrait penser que rien ne le rapprochait de ma mère mais en fin de compte, ils se ressemblent bien plus qu’on ne le pense. Ma mère elle était amoureuse du passé des Kalanis, mon père était amoureux de leur futur et il voyait toujours plus loin. Et ils ont probablement bien d’autres choses en commun mais je ne suis que leur fils. Je ne sais pas tout d’eux.
Je peux cependant parler de mon père. Cet Explorateur toujours en vadrouille aux quatre coins de l’univers. Malheureusement, à cause de cela je ne le voyais pas souvent. Un père absent la plupart du temps mais tellement présent le peu de fois où il était sur Naerys que je ne pouvais lui en vouloir. Chaque retour annonçait de nouvelles histoires. J’aimais les histoires de ma mère mais celles de mon père. Il y avait quelque chose que j’aimais tout particulièrement chez elles. Peut-être le fait qu’elles soient centrées sur des espèces lointaines et inconnues pour nombres des Kalanis. Penser que mon père découvrait presque chaque jour – voilà ici l’exagération d’un petit garçon – de nouvelles races … cela me faisait tout simplement rêver.
J’ai grandi comme beaucoup de jeunes garçons de notre race. En plein milieu de Blackwater ; la cité principale de Naerys, à vagabonder avec mes amis quand je n’étais pas à l’école. Curieux, je faisais pas mal de bêtises car je voulais découvrir chaque coin et recoin de la cité dans laquelle je vivais. Ce qui pouvait fréquemment m’apporter des ennuis mais pourquoi pas ? Après tout j’étais jeune et on nous dit toujours qu’il faut en profiter tant que nous sommes jeunes. C’est donc ce que j’ai fait. J’essayais d’ailleurs de trimballer Wystan, mon meilleur pote, ce fils de Gardien, dans mes débandades excentriques mais sans grand succès. Il a toujours été plus sage que moi, même si au fond de lui j’ai toujours su qu’il avait l’âme d’un voyageur et d’un aventurier. Je ne fus d’ailleurs pas du tout étonné quand il choisit les Veilleurs l’année de nos trente ans.
Fils de Gardien, voulant voyager. Il ne pouvait que choisir les Veilleurs et j’étais fier de lui. Contrairement à son père, cet homme qui nous a toujours foutu la trouille à tous les deux – même si Wystan ne l’avouera jamais – et que l’on respectait plus que tout. Moi, j’ai choisis les Scientifiques. Un choix qui avait surpris tout ceux qui me connaissait, sauf peut-être ma mère ; c’est ce que j’appellerais le sixième sens des mamans. Gardien ou Veilleur je savais que ce n’était pas pour moi. Je n’avais jamais eu l’âme d’un protecteur. Non, c’était toujours Wystan qui faisait en sorte que je ne me retrouve pas dans les pires situations quand nous étions gamins.
Moi je faisais toujours mon curieux, je fouillais partout, je tentais des choses – les plus improbables les unes que les autres – et surtout je m’intéressais à tout. J’aurais pu devenir un Historien car j’ai toujours aimé l’histoire des Kalanis mais j’ai toujours eu ce sentiment que les Historiens ne découvraient plus grand-chose, hors je tenais trop de mon père. Il m’avait contaminé avec ce virus de voyageur et d’explorateur mais je ne pouvais pas suivre ses pas. L’exploration c’est bien mais à chaque récit de mon père je trouvais dommage qu’il ne sache pas plus de choses sur les civilisations qu’il rencontrait.
Alors à trente ans, j’ai choisis les Scientifiques et j’intégrais l’université de Naerys aux côtés de tous les autres jeunes avec qui j’avais grandi. Je savais d’ailleurs que je serais plutôt un Chercheur, un de ces Scientifiques qui va aux quatre coins de l’univers pour en apprendre plus sur les civilisations que découvrent les Explorateurs. Mes parents étaient très fiers de moi. Intégrer l'université de Naerys c'est un honneur pour tout jeune Kalani et je ne faisais pas exception à la règle. Seulement, le calme et le silence qui régnaient dans ces lieux étaient un peu étouffants pour moi. J'avais l'habitude de courir dans tous les sens et dans toutes les rues de Blackwater. Du coup, même si elles se faisaient plus rares, j'aimais faire de petites expéditions au sein de l'université la nuit. Et j'essayais toujours de trimballer Wystan avec moi.
Vingt années d'études c'est long. Surtout quand on a qu'une hâte : découvrir l'univers. Normalement j'aurais dû aller jusqu'au bout de ces études pour être certain de contrôler tous mes pouvoirs à cent pour cent. Mais non. Pas le jeune Logan. C'est à quarante ans que j'ai décidé de quitter ma planète natale. Pas un au revoir à qui que ce soit - sauf mon meilleur ami à qui j'ai proposé de venir mais qui n'a pas voulu – pas même à mes parents ; mais en même temps mon père était encore en exploration … Ça a été direction les vaisseaux et pour la première fois de ma vie - malgré toutes les bêtises que j'ai pu faire, je n’avais jamais fait cela - j'ai volé quelque chose, et pas rien : un joli vaisseau de Scientifique Chercheur.
Malheureusement, le problème, c’est que quand on ne fait pas les vingt années d’études qui vous sont destinées : contrôler un vaisseau Kalani devient compliqué. Notre technologie est bien plus complexe qu’on ne peut le penser. Du coup, quand je me suis retrouvé face à tous ces boutons je ne savais pas trop quoi faire. J’ai lu le manuel en diagonale et j’ai compris pourquoi on étudiait vingt ans. J’ai cependant rapidement trouvé ce que je voulais : le pilote automatique. Enclenché en deux secondes je me suis retrouvé dans l’espace à voler dans une direction inconnue. Pour les longs voyages on a ce qu’on appelle un système de cryogénisation, j’ai aussi rapidement trouvé comment utiliser cela, et je l’ai mis en route après avoir enclenché l’hyperespace : système permettant de voyager plus vite que la lumière.
Bref, je pensais que j’avais réussi à maitriser le principal en lisant simplement le manuel en diagonale. Mais non. C’est vingt ans plus tard que je me suis réveillé, et non pas parce que le système avait détecté mon entrée dans l’atmosphère mais plutôt parce que je me suis écrasé sur une planète. Vingt ans de cryogénisation, j’avais toujours la même apparence de gamin mais j’étais déjà âgé de soixante ans, et un atterrissage violent source d’une amnésie ; voilà dans quel état j’avais atterrit sur la planète Terre le 6 septembre 1918.
∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞∞Pour raconter son histoire il faut savoir d’où l’on vient. Je ne sais pas d’où je viens. Je pourrais me concentrer sur qui je suis mais ça non plus je ne le sais pas. Je m’appelle Judicaël. Un nom que j’ai choisis au détour d’une rue, deux mois après le début de ma vie. C’est donc l’histoire de cet homme que je vais vous raconter.
Je suis né au matin du 9 mai 1945. La date je l’ai apprise grâce à un journal qu’une dame venait de jeter. Je dis naissance mais c’était plus littéralement un réveil. Je dis naissance car c’est le jour où cette partie de ma vie a débuté. Cette partie parce que je n’étais pas un bébé comme tout autre être humain à sa naissance. Non, moi j’avais déjà une trentaine d’années – ou du moins c’est ce dont j’avais l’impression en regardant mon physique. Je ne sais pas comment je suis arrivé dans cette rue. Ni pourquoi. Ce furent les premières questions de mon existence.
Au fil des rencontres que je faisais, des quantités d’autres questions se posèrent.
Qui suis-je ? D’où viens-je ? Quel est mon métier ? Ai-je une famille ?
Le monde semblait détruit de mille feux. Les bâtiments étaient en ruines. Les gens fouillaient les décombres et j’appris plus tard que c’était pour récupérer des objets leur appartenant. A chaque coin de rue je retrouvais des hommes en uniformes. Des militaires. Nombreux étaient les gens qui les remerciaient. Ils ne semblaient pas comprendre ce qu’on leur disait, leurs langages respectifs leurs étaient inconnus, et pourtant je comprenais chacune des personnes que je rencontrais. Je savais apparemment parler l’anglais, le français, le russe et probablement d’autres langues. Plus tard j’appris qu’une guerre avait eu lieu. Une guerre comme nulle autre, ayant touché le monde entier. Une guerre mondiale. La deuxième Guerre Mondiale. Je n’ai déjà aucun souvenir de la première. De ce que j’ai compris, la victoire a été proclamée le 8 mai 1945. La veille de ma naissance.
Est-ce qu’une simple coïncidence ?Petit à petit j’en appris de plus en plus sur l’histoire du monde. Je m’étais nommé volontaire pour aider à l’armée mais fut refuse à cause de mon âge apparemment avancé et mon amnésie trop prononcée. A la place j’aidais à la reconstruction des villes détruites par les obus. J’aidais les familles en détresse. Je n’avais pas un sous en poche. A vrai dire, à ce moment-là je ne connaissais pas le concept de l’argent. Je me nourrissais quand je le pouvais et avec ce que je pouvais. Parfois les gens que j’aidais avaient la bonté de partager leur repas du soir et le peu qu’ils mettaient sur la table. Parfois même ils partageaient leur toit et me laissaient dormir sur le sol. Mais ce n’est pas facile d’héberger un homme qui ne connaît même pas son propre prénom. C’est d’ailleurs pour cela que j’en ai choisis un quelques mois plus tard.
L’hiver était rude mais je n’avais pas froid. Un simple manteau me suffisait alors que je voyais es camarades de la rue mourir de froid et ne pas se réveiller. Les jours passaient et je faisais en sorte de survivre. L’été était arrivé et le beau temps avec lui. Je continuais d’aider les gens comme je le pouvais. Je réparais des toitures, des clôtures. Je débarrassais les jardins des cadavres qui jonchaient le sol. Cette routine s’était installée et dura pendant plusieurs années. Je ne comptais plus le nombre d’hivers passés à voir mes camarades mourir.
Un jour de travail comme un autre je réparais une toiture quand le propriétaire des lieux vint me voir pour me proposer un travail plus décent. Un travail qui paye. Il m’avait apparemment vu travailler depuis plusieurs mois et avait remarqué que j’avais de bonnes capacités. C’est ce jour-là que je découvris le principe de l’argent et de ce qui est appelé un contrat de travail. C’est ce jour-là que j’avais commencé à travailler pour un grand constructeur. Je faisais toujours le même métier – placer les briques au bon endroit – mais je me réveillais en sachant que ma journée allait être occupée. En plus du travail j’étais nourri et j’avais ce que l’on appelle un salaire. J’avais toujours connu la rue et je continuais d’y vivre. Lorsque mon patron me demandait pourquoi je répondais simplement
« je ne peux pas laisser mes camarade » et c’était vrai. J’avais connu la vie sans rien et certains la connaissait encore. Dès que je pouvais je leur achetais un morceau de pain pour qu’ils remplissent leur ventre. Je leur achetais un manteau pour qu’ils puissent passer l’hiver au chaud. Ils étaient mes camarades et étaient devenus mes frères. On ne laisse pas sa famille derrière.
Les semaines passèrent et la routine s’installait. Puis les mois et les années. J’ai rapidement remarqué les autres changer. Ils étaient de plus en plus faibles à force que les années passent. On appelle ça la vieillesse.
Pourquoi je ne vieillis pas ? Une nouvelle question qui s’ajoute aux autres.
Je connaissais la mort. Je l’avais côtoyé immédiatement à mon réveil mais les décès de vieillesse ce n’est pas pareil. On apprend à connaître quelqu’un. On passe nos journées à leurs côtés et un jour ils partent mais on reste.
Pourquoi je ne vieillis pas ? D’où est-ce que je viens ? Que suis-je ? Un homme, un jour, m’a dit que je ne suis pas humain. Pour lui j’ai été envoyé pour une raison particulière. Mais laquelle ?
Quel est mon but dans la vie ? Pourquoi suis-je sur Terre si je suis si différent de ses habitants ? Nous étions en 1995 et cet homme est mort le lendemain de vieillesse à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Ça faisait cinquante ans que je m’étais réveillé.
Une semaine plus tard j’avais pris mes affaires et j’étais parti. Je quittais la France avec les vêtements que j’avais sur moi et un sac sur le dos. Dans ce sac, mon argent. Je n’ai jamais eu suffisamment confiance en ces lieux que l’on appelle des banques. J’ai toujours préféré garder mon argent avec moi. A pied, j’étais parti vers l’est. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais plus rien ne me retenait dans ce petit village normand. J’avais décidé de trouver des réponses à toutes mes questions.
Au fil de mes voyages je trouve des petits boulots. L’argent que j’ai est là pour m’aider en cas de coup dur mais si je peux j’évite de m’en servir. Je vois un nombre insensé de pays, chauds et froids, petit et grands. Je rencontre des gens de tous horizons, parlant tous des langues différentes et pourtant je n’ai aucun souci pour les comprendre. Je n’ai jamais trop froid. Je n’ai jamais trop chaud. Je ne vieillis jamais.
Qui suis-je ? Que suis-je ? J’espérais me retrouver face à des gens qui pourraient me connaître mais mes espoirs furent futiles. Des années plus tard, je fais face à la mer et aucune de mes questions n’a eu de réponse. J’en suis toujours au même point. Je ne sais toujours rien de l’homme que j’étais avant ce 12 novembre 1945.
Face à la mer, deux possibilités s’offrent à moi :
traverser l’océan comme je peux et continuer à chercher
ou faire demi-tour, retourner là d’où je viens et abandonner.
Je n’ai pas fait tout ce voyage pour abandonner.
J’ai donc trouvé un bateau et j’ai embarqué en tant qu’aide à tout faire. Il fallait bien que je paye le voyage et la nourriture qu’on allait me fournir. Nous étions en 2000 et voilà que je me dirigeais vers l’Amérique. De mes souvenirs je n’avais jamais navigué mais pourtant, malgré une forte tempête en plein milieu du voyage, je tenais bon et presque même mieux que des matelots aguerris. L’un d’eux voyant ma santé au beau fixe me demanda ce que j’étais. Ce n’était apparemment pas normal de ne pas souffrir ne serait-ce qu’un peu du mal de mer dans ces conditions. Cinquante-cinq ans sur cette Terre et je continuais d’apprendre des choses … mais pas ce que je voulais apprendre. A mon arrivée à San Francisco, sur les terres américaines, toujours aucune question n’avait trouvé de réponse.
Sur ce continent je repris mon aventure comme avant. La traversée fut cependant plus longue qu’elle n’aurait dû l’être. Non pas par contrainte mais par choix. Je pris mon temps. Je travaillais plus longtemps à chaque fois. Je profitais de ce pays. Les gens y étaient agréables et les paysages magnifiques. J’avais même rencontré quelqu’un. Une femme adorable, belle, généreuse. La femme que tout homme souhaiterait avoir mais ne vieillissant pas je me fis rapidement une raison. Je ne pouvais rester en couple avec une humaine. De plus que notre histoire était basée sur des mensonges. Comment expliquer que j’ai minimum cinquante-cinq ans – et probablement trente de plus si ce n’est encore plus – alors que j’ai l’aspect physique d’un homme qu’une trentaine d’années ? Impossible. Un jour peut-être mais pas au vingt-et-unième siècle.
Pendant les cinquante années qui ont suivis je me suis baladé sur tout le continent américain. Canada, Etats-Unis, Amérique Centrale, Bolivie, Pérou, Chili, Argentine, jusqu’au Cap Horn et ensuite remonté par le Brésil. En bref chaque pays y est passé et à chaque fois cette question me venait à l’esprit :
pourquoi est-ce que je comprends tout le monde ? Pourquoi est-ce que tout le monde me comprend ? Durant ces cinquante années j’ai continué d’essayer de trouver des réponses mais à force que le temps passe je désespérais d’apprendre quoi que ce soit sur mon passé. Je survivais tandis que les autres quittaient ce monde. Ça ne m’étonnerait pas que les données disparaissent avec eux.
Y a-t-il toujours quelqu’un sachant qui je suis ? Pourrais-je savoir quel est mon vrai prénom ? Pourrais-je savoir d’où je viens ?Les questions avaient alors évoluées mais leur fond était toujours le même. Je m’étais réveillé au beau milieu de nulle part, sans mémoire des années passées et je voulais des réponses.
En 2050, j’avais pris la décision de retourner en Europe. Cette fois-ci je pris l’avion et pas le bateau. Inutile de chercher les incompréhensions de matelots malades comme lors de mon voyage d’arrivée sur le continent américain.
Agé de cent cinq ans, cinquante-cinq ans après mon départ, je suis de retour en France. Je suis retourné dans le petit village normand qui m’a accueilli pendant tant d’années. Les choses avaient tellement changé. J’ai essayé d’y rester pendant plusieurs années mais j’ai rapidement abandonné. J’ai essayé d’autres pays puis je me suis finalement installé à Douvres.
Pour raconter son histoire il faut savoir d’où l’on vient, il faut savoir qui l’on est.
Je viens d’un coin de rue de France, je suis Judicaël et j’ai plus de cent cinquante ans.
Voici mon histoire.
Pendant les cent cinquante premières années de ma vie je me suis cherché. J’ai essayé de comprendre qui j’étais et d’où je venais. Puis j’ai renoncé. Quitte à ne pas savoir, autant profiter de la vie, surtout que la mienne risque d’être longue.
A Douvres, j’ai essayé de trouver un autre travail que constructeur dans le bâtiment. J’ai fait des études à distance et passé des tonnes de diplômes. Quand on a le temps tout devient plus simple. En cent ans j’étais devenu doué en commerce, en sciences, en histoire, en droit et tellement d’autres domaines. Le seul qui ne m’intéressait vraiment pas était la médecine. Le sang séché, les cadavres au sol, toutes ces vues des années 45 m’ont suffi et si je peux j’en évite la vue désormais.
A trois cent ans, je possédais un manoir en bord de plage, au large de Douvres. J’étais surveillé par de nombreuses associations. Un homme seul dans un manoir ça intrigue toujours les humains. Ce n’est pas facile de garder une couverture quand on ne vieillit pas et que notre visage ne change pas mais j’essayais tant bien que mal.
Un jour d’ailleurs j’ai cru que les choses allaient changer lorsque l’existence d’extraterrestres fut révélée au monde entier. Avant j’étais un vampire aux yeux des enfants. Désormais j’étais un extraterrestre. Ils n’avaient pas tort mais le souci était que les extraterrestres n’étaient pas considérés comme leurs amis. Ah ces humains et les frayeurs qu’ils peuvent se faire pour un rien. Ah oui, d’ailleurs ! A ce moment-là je m’étais déjà fait à l’idée que je n’étais pas humain et cela depuis longtemps mais la possibilité que je sois un extraterrestre était toute nouvelle. Je pensais avoir été une expérience ou une mutation génétique mais je n’avais jamais vraiment pensé au côté extraterrestre de la chose.
Bref ce ne fut pas ce jour-là que les choses changèrent pour moi. Quelques mois plus tard, un homme sonna à la porte de mon manoir. Sa tête m’était familière et la raison de sa venue aussi. Bizarre … les seules visites que j’avais depuis cinquante ans n’étaient que des enfants curieux voulant en apprendre plus sur l’homme mystérieux du manoir. Cinquante ans. Oui. Cinquante ans plus tôt, un homme était venu me voir pour que j’intègre son institut. J’avais refusé de manière catégorique. Je n’avais pas besoin d’une organisation secrète dans ma vie en plus de toutes les questions qui tournaient autour de moi. Voilà où j’avais déjà vu cet homme ! Cinquante ans et il n’avait pas vieillit d’un poil !
Serait-il comme moi ? En trois cent ans je n’étais jamais arrivé aussi proche de mon but ultime : trouver qui je suis. Il venait pour la même raison, me demander de rejoindre son institut. Mon avis n’avait pas changé mais si je voulais des réponses il fallait bien que je le fasse entrer. Je l’avais donc mis à l’aise – du thé, des biscuits, rien de tel – et je discutais. Petit à petit il m’expliquait certaines choses et j’appris rapidement qu’il n’était pas comme moi. Je me souviens encore de ses mots comme si c’était hier.
« Si je suis ici aujourd’hui, face à vous, avec le même visage qu’il y a cinquante ans ce n’est pas dû au hasard. Je remercie la technologie. » Il m’avait alors montré son bracelet. Il appelait ça un manipulateur de vortex et cela pouvait apparemment le faire voyager dans le temps et l’espace. Ainsi cinquante années étaient passées pour moi et seulement une semaine pour lui – le temps qu’il fasse un rapport à ses supérieurs apparemment. Tous mes espoirs s’étaient alors écroulés et la panique m’emporta à la suite de ses mots.
« Mais vous ! Vous êtes fascinant ! Cinquante ans et votre visage n’a pas bougé ! Vous êtes quoi ? Vous venez d’où ? » Je ne pouvais pas répondre à ces questions et je n’essayais même pas. Il était parti dans un état de fascination et je compris rapidement que je n’étais plus en sécurité. Mais comment le faire partir ? Comment faire pour que lui et son institut me laissent tranquille ? Les quelques heures qui suivent sont flous dans ma tête. Je me rappelle juste de voir l’homme allongé sur le canapé de mon salon, gorge coupée nette. Le sang avait coulé sur le canapé et le tapis. Au sol, la tasse qu’il avait tenue au moment de sa mort était cassée.
Qu’est-ce que j’ai fait ? Comment est-ce que je sais faire ça ? Mon dieu qui suis-je ? Je suis un monstre.
En moins de temps qu’il ne m’en avait fallu pour prendre la décision, j’étais sur le paillasson du manoir. Mon sac remplit d’argent dans une main, l’autre tenant le manipulateur de vortex de ma victime. Pourquoi avais-je ça dans la main ? Je ne savais même pas m’en servir. Autre chose étrange, j’avais récupéré l’arme de poing que l’homme avait à sa taille.
J’ai mis un bon bout de temps avant de comprendre comment il fonctionnait cet engin. Tout en étant en fuite ce n’est pas chose facile en plus de cela. J’ai finis par réussir mais en plus de comprendre il a fallu que j’obtienne les bons codes pour arriver là où je voulais. Au passage j’ai appris qu’il ne fallait pas trop jouer avec les voyages temporels. Etre deux fois au même endroit pourrait être très dangereux apparemment. Savoir ça m’a toujours suffit. Je n’ai jamais eu besoin de connaître les détails.
Ma première destination fut le 8 mai 1945 dans cette ruelle de France. Malgré les avertissements il fallait que je retourne à cette date. C’était une des premières questions auxquelles je voulais répondre :
que m’était-il arrivé ?La sensation d’un voyage dans le temps est très particulière. Difficile à expliquer. T’as l’impression que ton corps est divisé en de millions d’atomes pour ensuite être recomposés quand t’arrives à destination. Il m’a fallu un certain temps pour m’en remettre. L’envie de vomir est très forte à l’arrivée mais bizarrement rien n’arrive à sortir. Ta tête tourne le temps que tu comprennes où tu es.
Revois la scène désastreuse du pays français dans les années 45 a fait remonter des souvenirs que je croyais disparus. Pendant longtemps j’ai regardé autour de moi sans bouger puis je me suis aperçu en train de courir. Je me suis vu entrer dans la fameuse ruelle, suivi de deux hommes en costumes noirs. Je crois que j’étais en train de les supplier quand l’un d’entre eux a levé le bras vers ma tête. Il tenait un 90mm dans la main et appuya sur la gâchette sans broncher d’un centimètre. Voilà ce qui m’était arrivé : tué d’une balle dans la tête.
Mais comment suis-je en vie aujourd’hui ? Pourquoi voulaient-ils me tuer ? Sans réfléchir aux conséquences que cela pouvait avoir, j’ai couru après les deux hommes. Lorsque je les ai rattrapés ce fut le combat d’une vie. Comment est-ce que je savais me battre ? L’un mourra d’une balle en plein cœur alors que je le tenais contre moi. Son collègue avait voulu me tuer mais avait raté son tir et se mit à courir le plus vite possible. Je l’ai rattrapé et immobilisé. Son visage montrait à quel point il était étonné de me voir sans une égratignure alors qu’il venait de me tirer une balle dans la tête quelques minutes plus tôt.
Je l’ai aussitôt assommé de questions. Qui êtes-vous ? Pourquoi vouloir me tuer ? Qui suis-je ? Il était encore plus étonné que je n’ai pas les réponses à toutes ces questions. Sa seule réponse
« T’as beau être le plus puissant, on t’aura Klinge ! » et il mourra des blessures que je lui avais infligées. En fouillant dans ses poches j’avais trouvé une photo de moi. Elle avait l’air de dater et pourtant mon visage était le même. Derrière celle-ci se trouvait une inscription manuscrite
« Khan die Klinge ».
Est-ce mon nom ? Suis-je allemand ?Avant que l’on me trouve face à ce cadavre j’avais quitté les lieux. En venant j’avais déterré plus de questions que de réponses. Prochaine destination : le futur. Loin dans le futur. Je ne pouvais pas retourner en l’an 2050, j’étais probablement recherché pour meurtre. J’avais donc prit une date au hasard dans le futur : l’an 3000. Quant au lieu, j’avais décidé de retourner à Douvres. J’avais appris à apprécier cette petite ville et je me doutais que je pourrais retrouver une habitation recluse, en bord de mer. En plus de cela les extraterrestres y sont bien vus. Les gens ne me disent rien quant au fait que je ne semble pas vieillir – enfin sauf les puristes bien sûr.
Je ne sais toujours pas qui je suis. J’ai toujours cette photo de moi avec inscrit
« Khan die Klinge » au dos. Elle est toujours dans la poche de ma veste. Qui j’étais avant ce matin du 9 mai 1945 reste un mystère, même après trois cent quatorze ans à vagabonder sur cette Terre. Je continue de chercher des réponses. Un jour je saurais ce que je suis.